Tribune libre rédigée par Edouard Rappaz, fondateur de Mécénat Public Privé
À crise exceptionnelle, réveil du réel. Aux jours sans fin de la crise sanitaire s’ajoutent désormais les perspectives et douleurs de la guerre aux portes de l’Europe. Ces troubles inédits replacent au cœur des enjeux notre indépendance et appellent des changements de comportements durables afin de faire face aux défis de demain.
« Nous sommes en guerre ». Le 16 mars 2020, le Président de la République annonçait, par ces mots, des mesures fortes pour limiter la propagation du Coronavirus. Deux ans plus tard, l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe bouleverse à nouveau nos modes de vie et nous interroge sur nos priorités, nos besoins et nos comportements quotidiens.
Ces périodes troubles mettent également en évidence notre dépendance à l’égard de la Chine, épicentre de la pandémie de Covid-19, et de la Russie, coupable du retour de la guerre en Europe, dans des domaines aussi essentiels que les approvisionnements alimentaire, sanitaire et énergétique. De fait, le réveil tragique du réel impose une prise de conscience collective.
Le retour de la sobriété
La crise sanitaire a mis en lumière à la fois les caractères vulnérable et déficient de notre société actuelle et la beauté du genre humain, avec des initiatives fortes d’entraide et de solidarité.
Un nouveau modèle de développement, plus local, équitable, sobre et durable est appelé à émerger, en vue d’assurer notre souveraineté dans des domaines où les pénuries sont insupportables et de valoriser prioritairement les métiers qui permettent la vie.
L’Etat stratège et protecteur, ancré dans le temps-long, retrouve tout son rôle. Il est à la manœuvre pour déployer une stratégie ambitieuse de relocalisation de pans entiers de notre économie et pour préparer, à travers un investissement massif dans l’enseignement et l’apprentissage, les métiers de demain, liés notamment à la dépendance et aux enjeux écologiques. Les secteurs stratégiques de la Nation, tels l’alimentation, la santé, la sécurité ou la défense, ne peuvent ainsi plus être soumis ni au marché, ni à une doctrine budgétaire trop stricte, ni à une puissance étrangère hostile.
Le réveil de la puissance
Le retour de la guerre aux portes de l’Europe illustre à quel point la puissance est la pierre angulaire du rapport entre les États. À « la fin de l’histoire », annoncée par Francis Fukuyama en 1992, avec la disparition de l’URSS et du Pacte de Varsovie, s’oppose en réalité l’avènement d’un environnement conflictuel, où les forces militaires, technologiques et même idéologiques jouent un rôle central. Ainsi, malgré son poids économique limité, à peine équivalent à celui de l’Italie, la Russie de Poutine a lâchement envahi l’Ukraine et nul ne sait quelle sera l’issue de cette agression.
Notre monde incertain doit, en plus, se préparer à des transformations profondes, sous l’effet de phénomènes multiples, implacables et radicaux. Le réchauffement climatique, la pression démographique (7,6 Md d’êtres humains aujourd’hui et 10 Md en 2050), la persistance de la pauvreté et la prééminence d’une vision absurde de la religion dans certaines régions provoqueront d’inévitables migrations humaines. Face aux nombreux régimes nationalistes et autoritaires, nos sociétés libres devront alors inventer des initiatives dignes et de long terme, afin de concilier nos devoirs et notre recherche continue et collective de prospérité.
Le retour de la France et le réveil de l’Europe ?
Dans ce contexte, la France et l’Europe occupent une place singulière et motrice pour répondre aux grands enjeux de demain. En plus des réflexions stratégiques en cours pour déterminer les filières que nous devons entièrement maitriser, la souveraineté et l’indépendance européennes doivent être nos grandes ambitions. Si la crise sanitaire a permis à l’Union européenne d’accélérer son intégration, avec notamment les achats en commun de vaccins et un emprunt collectif inédit et massif, l’agression de l’Ukraine par la Russie constitue une opportunité malheureuse d’affirmer le concept d’Europe puissance.
La nouvelle aventure européenne ouvre des voies exigeantes pour lutter contre le morcellement du monde et agir pour son avenir. Au niveau économique, l’Europe s’engage pour concurrencer les Etats-Unis et la Chine, à travers sa relance industrielle et ses investissements dans la transition écologique et les marchés du futur, comme les batteries électriques, l’hydrogène, les télécoms ou la santé digitale. Au niveau diplomatique, en plus du soutien continu aux pays en développement et, en particulier, à l’Afrique, l’Europe puissance permettra de mieux défendre et promouvoir nos intérêts et, surtout, de faire pression sur les pays qui ne respectent pas nos valeurs et menacent nos futurs.
Le réveil du réel se traduit ainsi par le retour des risques et dangers des tragédies. Il révèle également l’opportunité de renouer avec un souffle plus profond, dont la France et l’Europe seraient les têtes de pont, pour bâtir un avenir collectif et positif.