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La Nouvelle-Calédonie est-elle une cause perdue ?

Nouvelle-Caledonie
Tribune libre rédigée par Edouard Rappaz, fondateur de Mécénat Public Privé

 

LA NOUVELLE-CALÉDONIE EST-ELLE UNE CAUSE PERDUE ?

Le bagne, la mine et la colonisation. C’est sur ce triptyque que s’est fondée la Nouvelle-Calédonie française. Le territoire, fort de 270 000 habitants, a ensuite connu, à partir des années 1980, un développement sans pareil et un état d’esprit inédit, jusqu’à devenir un paradis du Pacifique. Néanmoins, la crise du 13 mai 2024 a bouleversé ses habitants, ses institutions et son économie.

Le calendrier de l’immédiateté et le calendrier de long terme cohabitent désormais. L’objectif demeure de tracer un chemin d’avenir, pour réconcilier tout à la fois la tradition kanak et la vocation de la République, au sein d’une société plurielle en quête d’un destin commun.

 

Un modèle à bout de souffle, ébranlé par le 13 mai 2024 

Le 13 mai 2024, dans le contexte du projet gouvernemental d’élargissement du corps électoral, l’agglomération du Grand Nouméa s’embrase. Émeutes, barrages, pillages, allant jusqu’à des affrontements mortels, marquent une vague de violences inédites sur le territoire depuis quarante ans. 14 morts, 3 000 arrestations, 2,5 milliards d’euros de dégâts, 10 000 emplois perdus, un bilan ahurissant.

Le modèle économique et social était déjà exsangue avant 2024, fragilisé notamment par sa dépendance au secteur minier. Le nickel, poumon économique du Caillou, représente 90 % des exportations de la Nouvelle-Calédonie et un quart des emplois du secteur privé. La filière, structurellement déficitaire, traverse une crise existentielle profonde, en raison d’un déficit de compétitivité, notamment vis-à-vis de l’Indonésie, crise amplifiée depuis les exactions de mai 2024.

En parallèle, le secteur public représente un poids considérable – 30 % des emplois, contre 20 % en Hexagone, avec une masse salariale qui bénéficie de surrémunérations spécifiques à l’Outre-mer – au sein du modèle économique et social du Caillou. Si ce secteur contribue de manière conséquente à la consommation en Nouvelle-Calédonie, il entraine aussi des effets pervers, avec une inflation de prix et services – qui participent à la « vie chère » – et un impact lourd sur les finances publiques – qui évitent aujourd’hui la cessation de paiement uniquement grâce à l’aide de l’État.

La Nouvelle-Calédonie est ainsi confrontée à une double peine : une économie exsangue et un statuquo institutionnel.

 

Un statut d’autonomie sans équivalent dans la République

Congrès, Gouvernement, Sénat coutumier, trois provinces et trente-trois communes composent l’organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Depuis 1988, la France a engagé un processus de décolonisation inédit, conférant à la Nouvelle-Calédonie un statut d’autonomie sans équivalent dans la République, avec un titre spécifique au sein de la Constitution française – le titre XIII « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ».

Créés par les accords de Matignon-Oudinot, en 1988, et complété par l’Accord de Nouméa, en 1998, ces institutions avaient pour vocation d’accompagner le développement et le rééquilibrage de la Nouvelle-Calédonie, en vue de la construction d’un « destin commun ». Entre 2018 et 2021, la tenue de 3 référendums a eu pour effet, au lieu d’ouvrir une porte de sortie à l’Accord de Nouméa, de refermer les issus et de renvoyer chacun des acteurs dans des postures d’intransigeance, exacerbées par les divisions qui ravagent chaque camp.

Ces trois référendums, portant sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, ont confirmé la place de la Calédonie dans la France, même si leurs résultats doivent être accueillis avec respect et humilité. Cependant, en dépit de ces trois consultations successives, personne ne sort vainqueur : les clivages ethniques, sociaux et géographiques ont été réactivés et la population calédonienne est épuisée.

 

Des rentes économiques et politiques qui fragilisent le vivre-ensemble

Le statut d’autonomie a, tout d’abord, joué en faveur du conservatisme économique, social et culturel, qui favorise la concentration de richesse et les inégalités de rente. Des grands groupes contrôlent toujours l’essentiel des transactions économiques et financières sur le territoire, participant aussi à la « vie chère ».

Ensuite, le dialogue institutionnel reste confiné entre des interlocuteurs assis sur leurs positions acquises et peu disposés à laisser échapper la rente. Or, le risque est grand que les logiques identitaires l’emportent, en nourrissant méfiance, rancœurs et ressentiment entre les communautés, et que deux légitimités – indépendantiste et loyaliste – s’opposent au lieu de s’enrichir l’une l’autre, pour forger un avenir commun.

L’enjeu clé reste donc de forger une unité calédonienne, à partir de cette diversité et de ses spécificités culturelles. L’émancipation économique et politique de la Nouvelle-Calédonie, pour défendre les intérêts de toute la Calédonie et non de quelques-uns, demeure le seul horizon acceptable. Elle nécessite également la réforme du corps électoral spécial en Nouvelle-Calédonie.

 

Une nécessaire révision du corps électoral

Le Corps électoral pour les élections provinciales de la Nouvelle-Calédonie est gelé à l’année 1998. Ainsi, en 2023, environ 20 % des citoyens (42 596 électeurs) étaient inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie sans être inscrits sur la liste électorale spéciale pour les élections provinciales.

Le gel du corps électoral, disposition portant atteinte aux principes d’égalité et d’universalité, n’a été validé par le Conseil constitutionnel que parce qu’elle était « transitoire ». Le principe du consentement à l’impôt est notamment mis à mal à l’égard des citoyens français établis en NC après 1998, lesquels acquittent les impositions votées par le Congrès sans jamais pouvoir participer à la désignation de ses membres

En 2024, un projet de réforme constitutionnelle fut alors soumis au Parlement, pour élargir le corps électoral calédonien pour les élections provinciales. Si ce projet de réforme a mis le feu aux poudres, la révision du corps électoral est inéluctable. Aucun régime démocratique ne peut admettre l’exclusion du droit de vote de personnes résidant sur un territoire depuis plus d’un quart de siècle.

 

Tracer le chemin de l’avenir à travers la France

La Nouvelle-Calédonie va donc devoir se réinventer, dans un environnement régional, au cœur de l’axe indopacifique, enjeu de toutes les convoitises et des luttes d’influence entre les États-Unis, la Chine et les grandes puissances. Pour la France, seul pays membre de l’Union Européenne à avoir des intérêts souverains dans cette région, il est essentiel de maintenir son rôle et sa présence stratégique dans cette partie du monde.

Ce qui se joue à présent est l’aboutissement d’un processus de décolonisation progressive inédit dans l’histoire de la République française. Si le statut d’autonomie de la Calédonie doit être affiné et décrit dans un nouveau projet de société, la France est actuellement la seule garantie pour que se maintienne dans le territoire un État de droit et de justice et pour que reprenne un processus de réconciliation et de refondation.

Ce processus, afin de garantir définitivement la légitimité du peuple kanak, premier occupant du territoire, et pour conforter durablement les institutions de la Nouvelle-Calédonie et sa place au sein de la République, vise à bâtir une relation de partage et de mises en avant des coutumes et identités. Après le bagne, la mine et la colonisation, tout l’enjeu, désormais, est de trouver l’esprit et la lettre d’un réel destin commun.

Edouard RAPPAZ

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